(r/juliet) it should be easy.

© tumblr/ryanfuckinggosling
juliet and jake

Je détestais travailler la journée. Je détestais les bars la journée. Pourtant aujourd'hui j'étais malheureusement de service de 10 à 18h. Le fait qu'un bar au soleil levé ça n'avait pas de sens. L'ambiance était quasi inexistante. Comme seuls bruist de fond nous avions la télé, allumée sur une chaîne sportive en featuring avec le son des cuillères dans le fond des tasses. Le café, la seule boisson vendue en journée. Lorsqu'il était temps pour moi de rendre mon tablier j'étais lassé par son odeur et par la chanson incessante de la cafetière. À l'heure du déjeuner on commandait quelques bières pour me soulager et puis de nouveau un café avant la fin des pauses du midi. Pour la soixante-quinzième fois aujourd'hui je nettoyais le comptoir en bois à l'aide d'un chiffon humide, avant de donner le même geste aux tables fraîchement libérées. Le Wicked Lady totalement vidé de tous clients aux environs de 15h je m'octroyais le droit de sélectionner l'une des pistes que contenait le jukebox d'époque au fond de la salle. Je glissais une pièce dans la machine et ne sachant pas quoi choisir j'appuyais au hasard. De toutes façons depuis que je travaillais entre ces murs je connaissais toutes les chansons de cette boîte à musique. Puis en fredonnant et claquant des doigts je fis un slalom entre les tables pour rejoindre mon post derrière le comptoir. Il me restait de la vaisselle à faire, du moins quelques verres à nettoyer et à essuyer.

it should be easy.
Jake && Juliet.

L’après-midi s’annonçait très longue.. tous les mois, j’allais rendre visite aux lieux majeurs de la ville. Les clients avaient besoin de publicités quand ils débarquaient à l’hôtel. Ils appréciaient avoir des informations concernant les activités touristiques. Très régulièrement, l’avis d’un habitant était souhaité mais, c’était aussi préférable de laisser un stand pour qu’ils choisissent par eux même. Aujourd’hui, je devais aller quémander des prospectus. Ce n’était pas le plus désagréable grâce aux divers échanges mais, cela restait une longue tâche puisqu’il fallait aller avoir au moins quinze commerces. Asha se chargeait de tenir la réception donc, je pouvais prendre tout mon temps. Evidemment, j’avais fait un saut à la galerie pour me tenir au courant des dernières trouvailles. J’adorais décorer les murs de l’hôtel avec des oeuvres locales. Cependant, la visite fut de courte durée pour continuer la corvée du jour. Il me restait un bar, le Wicked lady. En entrant dans le bâtiment, je retirai les boutons du manteau car la chaleur me semblait étouffante. Des signes de la grossesse avec des bouffées de chaleur. Cela me prenait régulièrement depuis plusieurs jours. Rien que pour ce problème, j’avais hâte de prendre une douche en rentrant le plus vite possible. En observant le seul employé présent dans la pièce, je compris que c’était Jake. Le point positif, il avait trouvé un travail. Le mauvais, je ne souhaitais pas du tout le voir après l’épisode au Hamilton Inn. Cela faisait plus mal qu’autre chose de le contempler. « Hey. » Dis-je tout bas en m’avançant vers le comptoir avec un léger sourire. « Tu travailles ici ? » Question stupide. Sinon il ne se trouverait pas derrière le bar. Une bonne logique qui ne changeait pas. « Désolée de te déranger mais j’ai appelé hier soir. J’aurais besoin de nouveaux prospectus du bar. » Autant parler du sujet tout de suite.

L'heure tournait et je me réjouissais déjà d'avoir bientôt fini ma journée. Elle n'avait pas été tellement crevante mais surtout très ennuyeuse. Je sifflais en rythme avec la chanson que le jukebox passait dans le fond de la salle, tout ça en essuyant des verres et des tasses mais aussi en les rangeant. Une fois la tâche effectuée je me jetais le torchon sur l'épaule et avançait vers les bouteilles. Aujourd'hui j'avais remarqué quelques bouteilles vides et autant prévenir Jack avant que nous nous retrouvions dans l'impossibilité de contenter les clients du bar avec quelques boissons présentes sur notre carte. J'avais le temps de tout passer en revue alors j'allais le faire soigneusement. Mais à l'instant où j'allais commencer la porte du bar fut poussée. Alors je posais le stylo qui était entre mes doigts derrière mon oreille et refermait le carnet en faisant face à la clientèle plutôt qu'aux étagères de bouteilles. Et là surprise: Juliet. Ça ne me réjouissait pas vraiment de la voir ici. Je me sentais coincé entre les murs de la salle, et je n'avais même pas un collègue à qui déléguer la tâche que la jeune femme représentait. « Hey. » J'avalais ma salive. « Hey... » Quoi dire d'autre? « Tu travailles ici? » C'était vraiment parler pour combler le vide ça. Enfin je ne lui en voulais pas. Si la situation était inversée j'en ferais sans doute de même. « Euh... oui. » Je ne voyais que répondre de plus. « Désolée de te déranger mais j'ai appelé hier soir. J'aurais besoin de nouveaux prospectus du bar. » Si Juliet a appelé hier soir quelqu'un a forcément mis quelque chose de côté pour elle. Je fis quelques pas vers le côté du comptoir au niveau du téléphone. Je soulevais quelques feuilles posées en vrac et découvrais un message. Il était écrit que quelqu'un du Hamilton Inn passerait et qu'il faudrait lui donner le petit tas de dépliants à l'effigie du Wicked Lady. Je saisissais le tas entouré d'un élastique et le tendais ensuite à Juliet. « Voilà. » J'avais l'impression d'être un gamin de dix-sept ans intimidé par une fille qui lui plaisait un peu trop. J'avais besoin de me ressaisir maintenant. Au moins de ne pas paraître tout à fait antipathique. Bien que ce ne soit pas si évident. « Est-ce que je peux t'offrir quelque chose à boire? Un cocktail peut-être? » J'essayais de me souvenir ce qu'elle buvait quand nous sortions encore ensemble dans des bars en tant que couple. Sauf qu'un léger détail me revint en tête. « Ah non c'est vrai tu es... Un jus de fruits ou un soda alors? » Et dire que je ne savais toujours pas qui était le géniteur de cet enfant. Intérieurement ça me rendait fou.

it should be easy.
Jake && Juliet.

Au moins, cette tâche allait se finir avec une certaine touche d’ironie. J’aurais jamais pensé tomber sur Jake derrière un comptoir. Dans un sens, cela devait être compliqué pour les anciens soldats de trouver du travail. Ils ne franchissaient pas les portes de l’université et le « manque » d’expérience dans la vie civile pouvait s’avérer être un piège. Certes, beaucoup de jeunes diplômés préféraient quitter la ville pour des régions plus prestigieuses. C’était un  choix comme un autre. Pour ma part, les études ne m’avaient pas attiré plus que cela. J’avais apprécié réviser au lycée mais, c’était suffisant pour ne pas saturer. J’appréciais surtout être active dans un travail où je me sentais accomplir des tâches. Avoir un certain contact avec les gens, comme celui de rendre visite aux commerçants. Un bref coup d’oeil dans la pièce alors que Jake cherchait les prospectus sur le comptoir. Cela devait faire deux ans que je n’avais pas mis les pieds dans cette pièce. Non pas que je détestais mais, à cause du manque de temps, les sorties furent rares. Quand il trouva enfin la publicité, j’esquissai un sourire pour le remercier avant de déposer les feuilles dans la sacoche destinée à la corvée du jour. Mon attention se posa alors sur le jeune homme quand il prit la parole. Une grimace exagérée en enttendant le mot qui ne fallait pas prononcer. Oui, j’étais déjà en manque d’alcool alors que la grossesse débutait depuis seulement deux mois. J’avais toujours eu cette habitude de regarder du sport à la télévision avec la famille. Evidemment, une Budweiser s’invitait au repas. Sinon, je buvais un verre ou deux avec les proches mais sans en être addict. Je faisais plutôt parti de ces personnes qui aimaient ne pas sentir l’odeur de l’alcool dans une boisson. D’ailleurs, j’avais réussi à faire passer ma grossesse incognito pendant Thanksgiving. « Juste de l’eau s’il te plait. Je commence déjà à gonfler comme un ballon alors, ne rajoutons pas du glucose inutile. » Le pire allait être le poids. Depuis mes treize ans, je surveillais un peu trop mon alimentation alors, impossible de m’imaginer avec quinze kilos de plus. Si je participais à des repas copieux, j’allais courir dans la nature mais, c’était interdit pour les femmes enceintes ce genre d’activité. Je retirai donc le manteau avant de m’installer sur un des chaises haute du bar. Bien sur, l’action fut exécutée sans aucune grâce à cause de la fatigue et surtout, la peur de tomber puisque ma maladresse m’avait déjà joué ce tour. Une simple discrimination pour les personnes de petites tailles qui semblaient avoir gravi un mont.

Je la regardais glisser les prospectus du WL dans une sacoche. D'ailleurs celle-ci semblait déjà bien remplie. À tous les coups elle avait du passer sa journée à entrer chez chacun des commerçants de la ville. Et puis par politesse, en quelques sortes, j'avais pris l'initiative de l'inviter à boire quelque chose. C'était offert par la maison. En tous cas j'imagine que c'est ce qu'aurait fait Jack si il avait été à ma place. Dans le pire des cas je n'aurais qu'à remplir la caisse de mon propre argent avec la somme de ce qu'allait prendre Juliet. « Juste de l’eau s’il te plait. Je commence déjà à gonfler comme un ballon alors, ne rajoutons pas du glucose inutile. » Je la regardais escalader l'un des tabourets qui bordaient le comptoir du bar en arquant l'un de mes sourcils. Je ne la voyais pas plus gonflée que la dernière fois que je l'avais vue. Ni même plus gonflée que la dernière fois que je l'avais vue il y a quatre ans. Les femmes et leur éternel problème de poids. La société faisait tellement bien son job lorsqu'il était question d'ancrer dans l'esprit de la gente féminine un idéal de beauté que c'en était rageant. Pourquoi est-ce que l'on parvenait si aisément à imposer l'idée que les femmes maigres étaient la perfection ultime? Quoi qu'il en soit, je décidais de ne pas la contrarier et de seulement lui servir un verre d'eau. Mais c'était tellement ridicule. « Tu es sûre que tu ne veux rien d'autre? » Peut-être que j'aurais pu lui faire changer d'avis. « Tu devrais peut-être arrêter de te concentrer sur le taux de glucose que tu ingères. Au moins le temps de ta grossesse. Je suis pas médecin mais j'imagine que si tu arrêtes de faire une crise d'angoisse dès qu'une calorie pénètre ton organisme tu seras beaucoup plus tranquille. Enfin, moi ce que j'en dis. » J'avais dit ça sur un ton concerné. Je n'étais pas méchant ici mais j'essayais de lui donner un conseil.